Zèbre ? albatros ? hérisson ? colombe ?

Ca commence à sentir la ménagerie ce blog.

Le hérisson, fiml tiré du roman de Muriel BarberyLe hérisson, c’est à cause du livre de Muriel Barbery, L’élégance du hérisson. Suis tombée dessus par hasard il y a quelques mois, l’ai dévoré avec un immense plaisir, merci madame Barbery. Le hérisson dans l’histoire, c’est Renée, entre deux âges, concierge de son état, très intelligente et cultivée mais qui fait tout pour que personne ne s’en aperçoive. Un peu comme un complexe de l’albatros.

La colombe, c’est Paloma (colombe en espagnol), 12 ans, surdouée, habitant l’immeuble où officie la concierge. Elle a compris que Renée se cache, et dit d’elle :  « A l’extérieur, elle est bardée de piquants, mais moi j’ai l’impression qu’à l’intérieur elle est aussi raffinée que ces petites bêtes farouchement solitaires, et terriblement élégante. »

Cette enfant-zèbre, avec l’aide d’un nouvel habitant de l’immeuble, japonais, riche, raffiné, cultivé, vont réussir à faire sortir le hérisson de son terrier (ça a un terrier, les hérissons ?).

Josiane Balasko a donné corps à ce beau personnage dans le film « Le hérisson » de Mona Achache, sorti en juin 2009. Mais le meilleur est dans le livre, notamment les méditations de la petite Paloma. Je me suis reconnue dans pas mal de ce qu’elle dit, notamment son couplet sur la dissonance, mais j’y reviendrai.

Zèbre ou albatros ?

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime en boitant, l’infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

Baudelaire, Les fleurs du mal.

Pourquoi je mets ce poème sur mon blog ? Eh bien, parce que c’est assez représentatif de ce que l’on peut ressentir, en tant que surdoué, dans le monde. D’ailleurs, certains enfants surdoués développent un « complexe de l’albatros », inhibition intellectuelle, renoncement à exploiter leurs ressources intellectuelles car ils les voient comme un danger (voir description sur le site de l’académie de Toulouse).

Pourquoi un pelage de zèbre sur ce blog ?

Question de vocabulaire. Pour désigner les extra-terrestres comme moi, on a :

  • surdoué, doué : ça induit un côté performance, efficacité, qui ne se retrouve pas dans la (ma) réalité, qui ne tient pas compte des entraves propres à ce type de fonctionnement
  • précoce : bon, à 5 ans passe encore, mais la quarantaine bien entamée je ne me sens pas vraiment concernée
  • haut-potentiel : se rapporte aux adultes. Notez que « potentiel » ne signifie pas « réalisation de ce potentiel », nuance. On dit aussi HP.
  • personne encombrée de surefficience mentale : j’aime bien ce « encombré », après faut relativiser la notion d’efficience. Chez moi, c’est plutôt de la suractivité, voire de la surchauffe.

Aucun de ces vocables n’est convaincant. Dans « Trop intelligent pour être heureux ?« , Jeanne Siaud-Facchin propose le terme de « zèbre », parce que cet animal (si je me souviens bien, j’ai passé le bouquin à quelqu’un et ne l’ai pas sous les yeux) :

  • vit solitaire
  • possède une fourrure unique au monde
  • (c’est un peu léger j’en conviens, mais j’expliquerai mieux quand j’aurai récupéré mon exemplaire du livre !)

Alors voilà, le pelage à rayures en haut de cette page, c’est en référence au zèbre.

Las, je suis sot …

— Las, je suis sot à m’en tuer de honte !

— Mais non, tu n’es point sot puisque tu t’en rends compte !

C’est dans Cyrano de Bergerac, Cyrano répondant à l’impétueux Christian qui se plaint de n’avoir pas assez d’esprit pour conquérir la belle Roxane. Christian n’était sans doute pas un surdoué, mais j’aime beaucoup cette phrase. En écrivant cet article, j’ai même commencé à analyser pourquoi elle me plait, l’impression d’être sotte aussi parfois, et le fait de me surveiller et de me juger tout le temps. Mais là, j’ai la flemme, alors je vous livre ça tel quel, voilà.

Va donc faire un tour

Il y a les gens qui ne vont pas lâcher tant que l’objectif qu’ils se sont fixé n’est pas atteint. Que ce soit un bug dans un programme informatique, un exercice de maths récalcitrant, un texte en cours de rédaction, que sais-je. Moi, je lâche au premier obstacle, parce que la tension est alors tellement forte que l’émotion m’envahit, et voilà je ne suis plus bonne à rien.

Seule solution : faire baisser la pression dans la cafetière en changeant d’activité. Un bain, un tour dehors, lire mes emails, éplucher une salade, me faire les ongles, peu importe du moment que je ne suis plus focalisée sur le problème à résoudre.

Après, je peux revenir à mon affaire, et là, magique : la solution est là, tout de suite, pas besoin de réfléchir, l’affaire est pliée en quelques secondes.

Avant de me savoir surdouée-haut potentiel-précoce, je m’en voulais beaucoup de ce fonctionnement, genre tu n’es pas persévérante, tu décroches au moindre problème. Maintenant, je comprends pourquoi il en est ainsi :

  • buter sur un problème génère du stress, et un surdoué ne sait pas bien gérer cela : « surcharge cognitive » = surchauffe = panic button,
  • en m’éloignant de ce problème, en prenant du large, je fais baisser la pression. Mon cerveau, lui, continue à bosser tout seul, sans que cela soit conscient de ma part, et peut élaborer tranquillement une réponse/solution,
  • quand je m’y remets, le boulot est fait, y’a plus qu’à se servir.

Eh bien, maintenant que j’ai accepté ce fonctionnement, je le trouve assez confortable finalement : mon cerveau qui bosse tout seul pendant que je vais à la plage, c’est plutôt sympa !

Enfin, à condition d’avoir le temps de prendre le temps. Parce que si j’ai seulement 5 minutes pour régler un problème et que ça ne « vient pas » pendant ce laps de temps, tic-tac-tic-tac, alors là y’a plus personne. Tiens, ça me rappelle un livre dans la bibliothèque de mes parents : « 17 secondes pour survivre ». Ca racontait des démineurs dans l’armée US pendant la guerre de 39-45, ils avaient ces 17 secondes pour désactiver une bombe. Moi, c’est le genre de truc impossible, je déclenche tout de suite le bazar pour qu’on en finisse, tellement ça me stresse le chronomètre.

Moi je voulais être comme tout le monde

Toujours eu le sentiment d’être une extra-terrestre en ce monde, de ne pas y trouver ma place. Gamine, ce que je désirais le plus c’était d’être pareille que les autres, pas faire de vagues, je ne veux voir qu’une tête.

Une expérience très significative de cet état d’esprit : à l’école, ce devait être en CM1, la maîtresse nous donne les consignes pour la séance d’arts plastiques. Préparer un fond avec plusieurs couleurs sur une feuille de papier Canson, puis souffler de l’encre à travers un stylo pour faire des motifs par-dessus ce fond. Je me lance dans l’affaire, peins mon fond, puis regarde autour de moi où en sont les autres.

Et là, horreur, je n’ai pas fait comme il fallait ! Je n’ai pas compris la consigne ! Mes camarades ont tous dessiné un fond avec des zones de couleur bien délimitées, avec des séparations bien propres et nettes. Sur ma feuille, des couleurs jetées en vrac, des tâches informes. Désespérance. Je ne suis donc qu’une pauvre sotte, encore une fois.

La maîtresse fait le tour de la classe et s’arrête devant ma table : elle me fait des compliments très chaleureux. Et moi, décomposée, « mais je n’ai pas fait comme les autres ! ». Elle : « ton dessin est très beau ». Moi : « mais je … ».

Quand, en fin de trimestre, j’ai ramené ce dessin parmi d’autres à la maison, mes parents se sont extasiés sur ma création, allant jusqu’à l’encadrer pour l’exposer dans le couloir.

Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai compris la leçon de cette histoire. Pendant longtemps encore, j’ai essayé de me couler dans un moule qui ne me correspondait pas, parce que je croyais que c’était ce qu’on attendait de moi. J’avais passé la trentaine quand j’ai compris que je ne pouvais pas m’efforcer d’être quelqu’un d’autre que moi, et qu’être simplement moi-même pouvait même s’avérer valorisant. Chaque fois que je suis tentée de me conformer à un modèle, je repense à cet exercice d’arts plastiques.